Les Eudistes sur la Côte-Nord du Québec

Jean Le Jollec,

Les Eudistes, de la persécution en France à l'exode sur la Côte-Nord du Québec


Jean Le Jollec

Né le 8 juin 1883 à Lothey-Landremel, France, il fut incorporé en 1908. Il fit son service militaire de 1904 à 1905.

Il fit sa théologie à Gyseghem en Belgique et fut incorporé à la Congrégation de Jésus et de Marie le 8 février 1908.  Il fut ordonné prêtre le 17 juillet 1910 à Quimper, France.

En 1910, il part pour le Canada.

Nous illustrons ici, à partir de sa correspondance conservée dans les archives, le périple de ce missionnaire eudiste qui trouva la mort à Betsiamites en 1913 à l'âge de 30 ans, d'un accident de chasse.

Ah! le Dieu de mon cœur!
Ah! l’unique partage de mon âme,
que puis-je vouloir au ciel et en la terre,
sinon toi?

- Saint Jean Eudes

Voyage sur l'Empress of Ireland

20

octobre

1910

Liverpool

Après le souper pris à 6h, je suis conduit à la gare par Mère Naour. A  8h le train s’ébranle.

A 3h, il faut changer de train.

J’attends 2h à la gare, les pieds gelés. Je constate qu’il fait beaucoup plus froid en Angleterre. Le 21 nous partons en train pour Liverpool où le P. Brezel doit arriver à 4h du soir. Liverpool est grand, il y a de belles constructions qui sont malheureusement noircies par le temps et le charbon.

J’embarque et retrouve mon Père Brezel.

Photo : Wikipedia

22

octobre

1910

Côte d’Irlande

Ce matin on aperçoit encore la côte d’Irlande. La mer est belle et calme, le temps clair. J’ai pour voisin au «dining-room» un médecin belge qui va au Canada compléter ses études à l’école d’un professeur de Montréal.

On est 1750 à bord sans compter le personnel du bateau.

Je me promène en compagnie du P. Brezel. A l’en croire, le Labrador n’est pas si sauvage qu’on se le figure.

La nuit est très agitée. La mer est grosse.

Photo : Pixilit

23

octobre

1910

Atlantique

La mer est furieuse. Le bateau roule, le pont devient un désert où se tordent quelques malades qui ne peuvent résister à l’envie de servir les poissons.

Comme c’est dimanche, il conviendrait de dire la messe. Il y a dans notre salle à manger tout ce qu’il faut pour cela. On a même affiché qu’à 10:30 il y aurait messe à bord. Le service protestant est annoncé pour 10:45.

Je suis logé avec le P. Brezel. La télégraphie sans fil fonctionne continuellement avec la côte et les navires en mer que nous sommes loin d’apercevoir.

Photo : Wikipedia               

24

octobre

1910

Détroit de Belle-Isle

Le paquebot au lieu de filer en ligne droite vers Terre-Neuve est monté au nord jusqu’au 56e degré. Il évite ainsi probablement les courants contraires.  

Mardi [25], la nuit nous a amené la tempête, le bateau va comme un fou dans tous les  sens. Il se secoue terriblement. Tout grince, les cordages et les ferrures.  La mer ne s’est pas calmée encore.

Le P. Brezel n’a pu dire son bréviaire depuis samedi ; on le voit rarement à table. Toute la journée il reste assis dans son coin comme quelqu’un qui voit venir la mort.

Photo : Unsplash

27


octobre

1910

Golfe St-Laurent

Tout annonce le voisinage des terres. Il est 3h et depuis la matinée nous sommes dans le golfe St Laurent.

Le temps est clair, le vent est froid, mais la côte n’apparaît pas encore et pourtant nous avons de la terre de tous les bords.

Demain à cette heure je serai à terre chez Mgr de Rimouski peut-être.

Photo : Unsplash








28

octobre

1910

Côte-Nord

Voilà la semaine de mer à l’agonie. Nous nous sommes réveillés de bonne heure ce matin. Nous sommes allés jeter un coup d’oeil sur la côte; Elle  s’étend là à perte de vue. La neige la recouvre par endroits.

La Côte Nord surtout est blanche, elle étincelle sous les faibles rayons d’un soleil boréal. Dans quelques  heures nous serons à terre.

Demain nous recommencerons à dire la messe et je penserai à vous.

Photo : Unsplash




28

octobre

1910

Rimouski

Voilà donc l’heure venue de descendre du grand colosse qui doit continuer  sa course jusqu’à Québec.

Il n’aborde pas à Rimouski faute de profondeur. Après quelques jours à Rimouski, nous embarquons sur la goélette et arrivons à Bersimis  après 6h de mer. [...] Il me fallut  descendre en canot et comme le canot ne pouvait encore me mettre au sec, le  capitaine lui-même enfoncé dans une paire de bottes spéciales me prit sur ses  épaules et me déposa sur le sable.

Photo : BANQ



31

octobre

1910

Bersimis

Le village comprend encore un beau petit noyau de maisons de planches;  Pas toutes en très bon état. Ici je vois 2 poteaux en terre rejoints par une perche à laquelle est suspendue une grande marmite dont le fond se fait lécher par es flammes d’un feu à demi éteint. C’est à ne pas y croire: je suis en pays civilisé.

Je  passe devant l’église et y rentre pour remercier le bon  Dieu de m’avoir conduit sain et  sauf au terme du voyage. Elle est occupée par les [Innus] qui se préparent à fêter  la Toussaint de la bonne façon.

Photo : Père Le Jollec

Jean Le Jollec décrit Bersimis

Bersimis, le 3 décembre 1910

Bien chers frère et soeur [Marie-Jeanne LE JOLLEC et son mari Jean-Marie DANION],

Je ne crois pas qu’il y ait lieu beaucoup de craindre que je me paganise sur la Côte-Nord. Le bon Dieu est toujours aussi près de nous. Nous l’avons sous le même toit que nous et s’il faut un jour aller à travers les montagnes et les fleuves à la conquête des païens, le bon Dieu ne nous refusera pas sa grâce, témoin la vie de saint François Xavier, dont nous faisons la fête aujourd’hui et qui, lui seul, a converti et baptisé 100 000 âmes. Nous n’espérons pas en arriver jamais là pour bien des raisons et d’abord parce qu’au Labrador il n’y a pas la 100e partie de cela à convertir. Mais c’est pour dire que nous pouvons malgré notre isolement nous maintenir dans la ferveur et faire notre salut aussi facilement que nous l’eussions fait en France ou en Belgique. 

La [photo que je vous envoie,] représente l’église, le presbytère et entre les deux la maison des soeurs. Tout cela est en bois, des fondations au coq de la flèche, sauf la couverture de notre maison qui est en zinc. Devant et entre, ce sont nos jardins et champs. Les pommes de terre y poussent bien.

Bersimis (Photo prise par Jean Le Jollec)

À la suite des magasins où l’on trouve un peu de tout, provisions de bouche et effets d’habillement, une maison de fourrures de Paris y a un représentant et un magasin qui a la spécialité de vendre un peu plus cher que celui qui est tenu par un Anglais, agent de la Cie de la baie d’Hudson qui tient des magasins un peu partout. Les blancs n’ont pas le droit de traiter avec les [Innus]. Il n’y a que ces deux magasins là autorisés.

Encore ne peuvent-ils pas employer comme garçons des blancs. Un blanc n’a pas le droit de toucher au bois réservé aux [Innus] ni même d’y séjourner après le coucher du soleil. Surtout il y a défense expresse d’introduire de l’alcool sur la réserve des [Innus]. Un Canadien, qui a passé avec ½ litre seulement, vient de cueillir une amende de 52 piastres c’est à dire 260 F comme avertissement. La 2e fois c’est 150 piastres. Un policeman représente le gouvernement canadien; Il touche pour cela 40 piastres par mois plus la moitié des amendes. Que n’applique-ton pas les mêmes mesures en France, on verrait moins de braves gens rouler dans les fossés. Le vin est extrêmement rare sur la côte Nord. Les [Innus] ne le connaissent pas. J’en ai bu de l’autre côté de la rivière chez les Canadiens. Ce que vous voyez là est déjà très large, il y a plus d’un kilomètre. Mon compagnon de voyage, le P. Brezel, habite sur cette rive dans une pauvre masure qui laisse entrer le vent par tous les bords. Nous lui rendons visite en moyenne une fois par semaine.

Nous le remplaçons quand il s’absente pour visiter les malades. Il faut toujours aller par mer, mais il faut attendre le vent. J’ai chanté la messe dans sa petite chapelle en bois. Ma lettre ne vous arrivera pas beaucoup avant Noël, aussi terminerai-je en vous souhaitant une bonne et sainte année. Transmettez mes voeux à tous ceux de Missilien et tout particulièrement à votre bon père. Embrassez pour moi les petits; priez pour moi. Je ne vous oublie pas au saint sacrifice de la messe. Je vous dis au revoir en [Innu]: niant, niant.

Jean

Campement à 10 km de Betsiamites vers 1910

Le Père Le Jollec et ses raquettes

Un mot sur la chasse

Bersimis, le 11 décembre 1910

Ma chère Marie, mon cher Joseph,

Un mot sur la chasse, si vous le voulez bien. Je n’ai encore tiré que 5 coups de fusil... Les perdrix blanches ne sont arrivées que depuis 5 jours. Il faut bien ouvrir l’œil pour les voir dans la neige. Une fois vues, on les tient, surtout aux heures des repas. Le meilleur moment, c’est le matin avant le lever du soleil. Il faut d’abord vous dire que ces perdrix-là ne ressemblent pas à leurs cousines de France. Elles sont blanches de la tête aux pieds, deux ou trois plumes noires seulement sous la queue, visibles seulement au vol. Pattes velues, adaptées à la neige[lire la suite]

Jean

Chasse aux lièvres <a Anticosti
(Archives des Eudistes)

La soupe aux tomates

Bersimis, le 7 février 1911

Mes bien chers parents,

Le temps passe et bientôt viendra pour nous le moment de prendre possession des  immeubles de Bersimis. Je dis bien «immeubles» car le reste disparaît comme par enchantement contrairement aux conventions. Mais, ayant reçu l’ordre de ne rien dire, nous laissons faire, tout en protestant en notre for intérieur contre ce mépris des traités. Bientôt donc, le plus tôt sera le mieux, viendra le moment où nous aurons à pourvoir à nos frais d’entretien, à fournir à notre cuisinière légumes et viande pour notre frugal repas. Je serai très probablement chargé du potager. Les graines font défaut et c’est pourquoi je vous prierai de me faire la charité, si vous en avez trop, de toutes espèces de graines: choux, carottes, oignons, poireaux, laitues, chicorées, cresson, fines herbes, navets, radis, etc.. [lire la suite]

Jean

Groupe à Bersimis (Photo par Jean Le Jollec)

Père François Petel

Le Père Brezel se noie

Bersimis, le 14 décembre 1911

Bien chers frère et soeur,

C’était le jeudi midi qu’il nous quittait en se promettant bien de revenir peut-être le lendemain soir, en tout cas la semaine suivante. Mais hélas! Il n’y avait pas une demi-heure qu’il avait franchi notre porte qu’on vint nous dire: le P. Brezel est tombé à l’eau. La rivière était prise, mais pas sérieusement, et puis c’était la grande marée qui avait brisé la glace en plus d’un endroit. Au bout d’une course de 10 mètres, je vis sur la glace le traîneau du Père, un chien devant, un chien derrière, mais point de Père.  [lire la suite]

Jean

Traversée en canot (Bibliothèque et Archives Canada)

Père Auguste Brézel

Le retour d'un missionaire disparu

Bersimis, le 14 octobre 1913

Ma bien chère Jenny, 

J’ai célébré l’anniversaire de la mort de papa la veille afin de dire la messe. Le docteur m’avait offert de partir en canot automobile pour une partie de chasse. Le moment venu, nous n’avons pu partir. Las d’attendre et désireux de m’offrir à moi-même une excellente distraction, un jour que la récolte se trouvait trop humide pour être rentrée, je partis pour le bois. Il était 8 heures. Je cheminais ainsi avec mes deux chiens qui sentaient la perdrix, j’en pris 4. Le jour de chasse, l’herbe tendre et quelque diable aussi me poussant, je fis voile vers le plein bois. Mes chiens s’égarent ou plutôt s’attardent à la poursuite du gibier. Je marche seul et las de courir et de sauter, je me décide à coucher là. J’avais des allumettes, des perdrix et de l’appétit; en 5 minutes la perdrix est plumée, vidée, passée à la broche au bout d’une ficelle.  [lire la suite]

Jean

Chasse aux lièvres <a Anticosti
(Archives des Eudistes)

Pessamit - La communauté

Nametau innu : mémoire et connaissance du Nitassinan, un site spécifique à la nation innue où des aînés transmettent leur savoir-faire et leur culture à des plus jeunes.
© Musée régional de la Côte-Nord 2010. Tous droits réservés.
Reproduit avec permission

Paul-Émile Dominique - Vers 1865-66, il y a eu la fondation de Pessamit, selon les Blancs. Mais ça faisait longtemps que les Innus vivaient près de leur rivière. Quand le gouvernement a dit oui pour la communauté, il a aussi dit: «C'est moi maintenant qui va vous soigner, vous éduquer, vous nourrir». Nous, on était ici et on mangeait du saumon. Nous sommes toujours en forêt parce que nous sommes nomades. Nos parents ne sont pas allés à l'école pour devenir des agriculteurs et faire pousser les patates.

Evelyne St-Onge - Est-ce que tu jouais au cowboy quand tu étais jeune?

Paul-Émile Dominique - Oui, mais je n'aimais pas jouer le rôle de l'Indien, car je perdais tout le temps. Tu vois la pointe là-bas, il y avait une rangée d'habitations, sûrement en écorce. Une église fut bâtie ici à l'époque de Arnaud et Babel. Les Oblats et les Eudistes se battaient pour savoir à qui appartiendraient les Indiens. Leur évêque a tranché et ce sont les Oblats qui nous ont gagnés et qui sont restés.

Musique - Philippe Mckenzie


À SUIVRE...