Les Eudistes, de la persécution en France à l'exode sur la Côte-Nord du Québec
Bien chers frère et soeur [Marie-Jeanne LE JOLLEC et son mari Jean-Marie DANION],
Je ne crois pas qu’il y ait lieu beaucoup de craindre que je me paganise sur la Côte-Nord. Le bon Dieu est toujours aussi près de nous. Nous l’avons sous le même toit que nous et s’il faut un jour aller à travers les montagnes et les fleuves à la conquête des païens, le bon Dieu ne nous refusera pas sa grâce, témoin la vie de saint François Xavier, dont nous faisons la fête aujourd’hui et qui, lui seul, a converti et baptisé 100 000 âmes. Nous n’espérons pas en arriver jamais là pour bien des raisons et d’abord parce qu’au Labrador il n’y a pas la 100e partie de cela à convertir. Mais c’est pour dire que nous pouvons malgré notre isolement nous maintenir dans la ferveur et faire notre salut aussi facilement que nous l’eussions fait en France ou en Belgique.
La [photo que je vous envoie,] représente l’église, le presbytère et entre les deux la maison des soeurs. Tout cela est en bois, des fondations au coq de la flèche, sauf la couverture de notre maison qui est en zinc. Devant et entre, ce sont nos jardins et champs. Les pommes de terre y poussent bien.
Ma chère Marie, mon cher Joseph,
Un mot sur la chasse, si vous le voulez bien. Je n’ai encore tiré que 5 coups de fusil... Les perdrix blanches ne sont arrivées que depuis 5 jours. Il faut bien ouvrir l’œil pour les voir dans la neige. Une fois vues, on les tient, surtout aux heures des repas. Le meilleur moment, c’est le matin avant le lever du soleil. Il faut d’abord vous dire que ces perdrix-là ne ressemblent pas à leurs cousines de France. Elles sont blanches de la tête aux pieds, deux ou trois plumes noires seulement sous la queue, visibles seulement au vol. Pattes velues, adaptées à la neige. [lire la suite]
Jean
Mes bien chers parents,
Le temps passe et bientôt viendra pour nous le moment de prendre possession des immeubles de Bersimis. Je dis bien «immeubles» car le reste disparaît comme par enchantement contrairement aux conventions. Mais, ayant reçu l’ordre de ne rien dire, nous laissons faire, tout en protestant en notre for intérieur contre ce mépris des traités. Bientôt donc, le plus tôt sera le mieux, viendra le moment où nous aurons à pourvoir à nos frais d’entretien, à fournir à notre cuisinière légumes et viande pour notre frugal repas. Je serai très probablement chargé du potager. Les graines font défaut et c’est pourquoi je vous prierai de me faire la charité, si vous en avez trop, de toutes espèces de graines: choux, carottes, oignons, poireaux, laitues, chicorées, cresson, fines herbes, navets, radis, etc.. [lire la suite]
Jean
Bien chers frère et soeur,
C’était le jeudi midi qu’il nous quittait en se promettant bien de revenir peut-être le lendemain soir, en tout cas la semaine suivante. Mais hélas! Il n’y avait pas une demi-heure qu’il avait franchi notre porte qu’on vint nous dire: le P. Brezel est tombé à l’eau. La rivière était prise, mais pas sérieusement, et puis c’était la grande marée qui avait brisé la glace en plus d’un endroit. Au bout d’une course de 10 mètres, je vis sur la glace le traîneau du Père, un chien devant, un chien derrière, mais point de Père. [lire la suite]
Jean
Ma bien chère Jenny,
J’ai célébré l’anniversaire de la mort de papa la veille afin de dire la messe. Le docteur m’avait offert de partir en canot automobile pour une partie de chasse. Le moment venu, nous n’avons pu partir. Las d’attendre et désireux de m’offrir à moi-même une excellente distraction, un jour que la récolte se trouvait trop humide pour être rentrée, je partis pour le bois. Il était 8 heures. Je cheminais ainsi avec mes deux chiens qui sentaient la perdrix, j’en pris 4. Le jour de chasse, l’herbe tendre et quelque diable aussi me poussant, je fis voile vers le plein bois. Mes chiens s’égarent ou plutôt s’attardent à la poursuite du gibier. Je marche seul et las de courir et de sauter, je me décide à coucher là. J’avais des allumettes, des perdrix et de l’appétit; en 5 minutes la perdrix est plumée, vidée, passée à la broche au bout d’une ficelle. [lire la suite]
Jean
Paul-Émile Dominique - Vers 1865-66, il y a eu la fondation de Pessamit, selon les Blancs. Mais ça faisait longtemps que les Innus vivaient près de leur rivière. Quand le gouvernement a dit oui pour la communauté, il a aussi dit: «C'est moi maintenant qui va vous soigner, vous éduquer, vous nourrir». Nous, on était ici et on mangeait du saumon. Nous sommes toujours en forêt parce que nous sommes nomades. Nos parents ne sont pas allés à l'école pour devenir des agriculteurs et faire pousser les patates.
Evelyne St-Onge - Est-ce que tu jouais au cowboy quand tu étais jeune?
Paul-Émile Dominique - Oui, mais je n'aimais pas jouer le rôle de l'Indien, car je perdais tout le temps. Tu vois la pointe là-bas, il y avait une rangée d'habitations, sûrement en écorce. Une église fut bâtie ici à l'époque de Arnaud et Babel. Les Oblats et les Eudistes se battaient pour savoir à qui appartiendraient les Indiens. Leur évêque a tranché et ce sont les Oblats qui nous ont gagnés et qui sont restés.
Musique - Philippe Mckenzie